Les Troubadours des Plaines
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 Histoire péripétiticienne - 3

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AuteurMessage
Aklatan
Capitaine des Plaines
Aklatan


Messages : 483
Date d'inscription : 04/07/2008
Age : 111
Localisation : Collines de Sous-Voûte-Chêne, la maison à côté de la cascade, où un gnome taille parfois des pierres.

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MessageSujet: Histoire péripétiticienne - 3   Histoire péripétiticienne - 3 Icon_minitimeLun 31 Jan - 19:25

A quelques enjambées près du chemin, une lueur venait d’apparaître, dans l’angle de sa vision que l’ombre embrumait. L’infime lumière dorée d’une porte entrebâillée fissurait miraculeusement la pénombre impénétrable, là où une chaumière reculée ancrait sa forme immobile. Il y avait une ombre sur le pas de la porte quand Aklatan passa, elle le regardait en silence.
« Holà, joli Troubadour… Pourquoi ne viendrais-tu pas me montrer ta grosse citrouille ? » l’interpella une voix douce et malicieuse, comme un soupir enchanteur sur les froids chemins de la nuit.
Lorsqu’Aklatan s’arrêta, il resta un instant à tenter de discerner les traits de la silhouette qui s’adressait à lui à quelque pas. Elle ouvrait la porte en douceur derrière elle dans un mouvement tentateur, la lumière qui glissa sur ses formes laissa découvrir le plus charmant visage que nul n’eut jamais contemplé. Ses yeux scintillaient d’une ardeur pleine d’assurance et de désir, tandis que sa chevelure sauvage s’élançait comme flammes dans son dos et autour de ses épaules. Elle agitait ses hanches, qu’on eut crues façonnées par les mains d’une déesse, d’un trémoussement d’indécision incitateur presque imperceptible, mais dont le soupçon déployait toute la grâce de sa posture timide, qui devait recéler le dessein brûlant qui animait un air avisé. Ses bras fins et graciles reposaient contre le cadre de l’entrée et sur la cloison de la porte, qui s’ouvrait davantage en invitant à venir goûter à la chaleur de la lumière.
Le Troubadour ne pouvait faire le moindre mouvement, tant il était ébahi par son retour au plus profond de ses songes. Il dut reprendre le contrôle de ses sens pour répondre à cette séduisante invitation, avec toute la courtoisie et l’élégance d’un aimable chevalier servant :
« Vous êtes qui, au juste ? » La citrouille balafrée ne put retenir un rire honteusement navré en murmurant entre ses dents décharnées :
« Alors là bravo… »
La nymphe du pas de la porte cacha du mieux qu’elle put son exaspération, et redoubla de ruse mesquine en mimant le frisson ; elle recroquevilla coquettement ses fines épaules en se frottant les mains, dans un soupir de douleur feinte, comme à la merci du froid mordant.
Aklatan n’hésita pas davantage, en songeant qu’il n’avait pas très chaud lui non plus, et qu’en compagnie d’une charmante personne, si le cœur lui en disait, il pourrait toujours lui indiquer les coordonnées d’un berger fort obligeant chez qui on pouvait se procurer de la bonne laine pour tisser des vestes bien chaudes. Et puis il y avait autre chose d’intriguant, qui l’avait déjà interpellé…
« Qu’est-ce que tu fais ? N’y vas pas ! C’est l’embrouille par ici ! Elle va nous égrener tous les deux ! » Aklatan fit taire la pumprune d’un grand coup sur la tête, et se dirigea vers la sorcière qui lui ouvrait sa porte, en esquissant un sourire dont la beauté dissimulait toute la satisfaction.

La clarté crépusculaire qui jaillissait au dehors paraissait plus douce encore en pénétrant dans la chaumière. On aurait cru le refuge douillet du vivant tout entier, que l’âtre seul aurait suffi à attendrir. Une simple petite pièce, aux angles rembourrés au plafond de paille épaisse, un fauteuil tournant le dos à une étagère de vieux livres, des bougies discrètes s’ajoutant au brasier tranquille de la cheminée, qui s’harmonisaient avec une ombre protectrice, conviviale, où fermer les yeux avec confiance devenait un délice…
Le Troubadour cependant n’hésita pas à soupçonner, non sans plaisir, d’être parvenu au paradis des voyageurs, ce dont il remerciait la fortune, car non seulement les braises étaient bien entretenues, mais la table était fort bien dressée. Et encore, le mot est faible. C’était même…
« C’te garnison, dis-donc… » laissa échapper la pumprule entre ses dents de pourriture.
« Et vous en êtes les invités, prenez vos aises. » répondit la déesse, en faisant demi-tour sur elle-même dans un déhanchement qu’envieraient mille danseuses du ventre. Elle s’était courbée gracieusement en leur tournant le dos – et bien davantage – sur un instrument étrange et grossier ; quoiqu’il en soit, les visiteurs prêtaient plus d’attention à l’élégante posture de statue vivante qu’elle offrait en leur indiquant deux chaises à la table.
« Tu l’as dit, regarde-moi toutes ces assiettes qui débordent ! » murmura Aklatan à la pumprule, décontenancé.
« Je parlais de la fille… Tes choix à la con, ils valent le coup, quand on peut plus reculer !» précisa celle-ci.
Mais aucun de ces jugements impulsifs ne se contrariaient : sur la table se succédaient des plateaux, dont la grossièreté primale des contours du bois passait inaperçu sous les montagnes de mets qu’ils transportaient.
Le regard glissait doucement d’une tourte à la pâte finement décorée, d’où s’échappait un délicieux fumet de cuisson, à des brochettes sans fin que coloraient des mélanges de légumes, de fruits et de viande grillée, et d’autres où s’enroulaient des serpentins aux courbes délicates et au parfum d’herbe fruitée ; les innombrables bols de sauce et de jus s’ajoutaient à des plats de mixtures en mouvement que des vagues circulaires remuaient lentement, les sillons contrastaient entre jaune et rouge, ou vert et violet, avec la couleur de leur bouillon, traçant des siphons merveilleux dans les mélanges. Des assiettes plus larges encore offraient à voir des bêtes rôties à la perfection, comme des poissons laissant sortir de leur bouche des salamandres grillées et décorés de basilic, de fenouil, d’oignons, et toutes sortes de quartiers de fruits, de légumes luisants servis fraîchement en accompagnement autour des plats ; sans compter le jambon roussi, le sanglier aux champignons des Bleus-de-Cancorannice, les gigots servis sur un lit de cèpes frites, et d’autres garnitures baignées dans le vin ou l’hydromel, des pyramides de langues d’oiseaux exotiques et des filets finement salés présentés dans les enchevêtrements de cornes de cerfs-merci*, des desserts de gâteaux fondants couverts de fruits et de liqueur… et même du nectar, du rhum, de la cervoise, en plus des différents pichets de vin entièrement remplis !

Le spectacle ne pouvait qu’atteindre le comble de la délicatesse, et de l’engouement, lorsque la belle s’assit en face de ses hôtes, par-delà l’océan de délices qui s’étendait entre eux, et se pencha en joignant ses bras sous son décolleté qu’elle mettait en avantage avec une générosité fort obligeante.
« Allez-y, servez-vous, voyons, et laissez-vous aller… » leur suggéra-t-elle sans rien perdre de la fondante mélodie de sa voix. Elle était plus charmeuse qu’un rêve, un de ces songes reculés de tous les mondes connus, d’où il faut toujours revenir ; et son charme était plus ardent que l’âtre crépitant.
« C’est très aimable de votre part, mais qui êtes-vous ? Et en quel honneur nous faites-vous… euh, l’honneur, justement, de nous accueillir ainsi ? Ce n’est pas que ce dîner ait l’air mauvais, au contraire… » : voici quelques paroles qu’Aklatan aurait pu proférer en pareille circonstance, quoique très déplacée, s’il avait pu faire preuve de plus d’abrutissement, si ce n’est de plus de grossièreté épuisante ; mais soyons sensés ; pas plus qu’aucun autre il ne s’en préoccupait, davantage que de se délecter des appétissantes victuailles qui foisonnaient juste sous son nez. La citrouille et lui-même avaient déjà avalé plusieurs bouchées quand leur hôte - arrivée droit du rivage aux merveilles – leur parla doucement tout en les regardant manger :
« Quel est donc le secret qui pousse de hardis compagnons à se balader seuls dans la nuit nui noire ?
Lors des songes, en plus… » ajouta-t-elle avec une tendre accentuation, pour mimer une stupeur adoucie. Le Troubadour s’essuya la bouche avant d’articuler avec autant de fierté qu’il pût :
« C’est à la fois la perdition dans les nuances de notre existence, et puis sans doute le goût du danger ; j’aime me fondre dans le voile des esprits quand vient ce genre de nuit. Et vous savez, ce n’est pas mon compagnon…
- Rhololo, étouffe-toi avec ton sabot de bouc, ça vaudra mieux… » l’interrompit la pumprule, avant de s’adresser à l’enchanteresse : « On veut festoyer un bon coup pour Gaggelon, comme on aime le faire, la nuit appartient à des gens comme nous, la donzelle !
- Oui, mais il faut aussi penser à aller couch… se coucher, n’est-ce pas ; d’ailleurs je me sens trop fatigué pour reprendre la route après tout ce…
- Justement, ça dépend de vos plans, ma jolie ! Votre accueil est déjà bien agréable, je sens qu’on est bien partis… Qu’est-ce que vous préparez pour faire boitiller le Kashka ce soir, à part inviter un mendiant et un beau légume ? Vous aimez picoler ?
- J’aime dévorer des citrouilles. La nuit des songes macabres. Elles poussent… » répondit-elle après un temps, le regard dans le vide, en se mordant discrètement les lèvres.
-« Ouais, moi aussi j’aime bien bouffer les garces qui se promènent dans le champ. Mais pas des morues comme vous, enfin je veux dire, je préfère en faire autre chose… c’est que… enfin c’est que c’est bon ce canard vinassé, quoi… »

La tournure de la conversation ne semblait pas avoir perturbé leur hôte, qui, sans autre réaction singulière, s’était lentement tournée vers l’objet mécanique qui se trouvait à son côté. Le Troubadour et la pumprule l’examinèrent un instant cliquer légèrement sur la pincette qui actionnait de petits rouages, jusqu’à un marteau qui frappa quelques coups brefs sur une cloche cabossée. Elle était suspendue sur une tige au-dessus d’un bol métallique, dans lequel résonna le tintement aigü et mollasson. C’est lorsqu’ils cessèrent de porter leur attention sur l’objet inesthétique, en manifestant y porter un intérêt plus qu’insignifiant, que tous deux furent intrigués par l’environnement qui avait pris forme autour d’eux. Il était difficile de croire que l’intérieur de la chaumière était demeurée intacte depuis leur arrivée, même sans en remarquer les détails… Mais pour tout dire, c’en serait grotesque.
En levant les yeux au-dessus de la nymphe et tout autour d’eux, des verroteries en tous genres avaient pris place sur de grandes étagères, qui semblaient avoir empiété sur le mur pour l’étendre considérablement en hauteur, et même en profondeur : les cloisons avaient l’air de s’arquer, de se bomber, de s’enfoncer vers l’extérieur comme en ployant sous le nouveau poids des ornements, tout en s’agrandissant. Pourtant tout demeurait immobile.
D’infimes battements se faisaient entendre, et des rythmes de mieux en mieux audibles, de plus en plus sonores, qui s’accumulaient, et se mêlaient avec indifférence et nonchalance… La charpente du toit ne craquait pas encore au point de se tordre : c’étaient là une multitude de d’horloges et de pendules, des cadrans, des aiguilles et des pendules, des pièces et des billes, qui battaient la mesure en une farandole étouffée par quelque désir imperceptible, qui retenait leur vacarme. C’étaient de petites fenêtres en ogives apparues dans les trous des murs duveteux, des éclats de vitraux dont la couleur sombre ne filtrait aucune lumière, qui perçaient en quelques endroits les murs et le toit, et même une porte, qui scindait le mur opposé en une basse cloison boisée aux verrous travaillés. Et ces verroteries, ce pierres, ces pendules et ces horloges, même des bâtons, des baguettes, et des lames de fer et de silex, paraissaient se répandre tout autour d’eux au fil de l’observation des visiteurs, aux bords des étagères, qui s’entassaient et se percutaient comme dans un une bibliothèque délabrée, au -dessus de la cheminée, au plafond, aux poignées des portes, des fenêtres, et dans une immobilité où le mouvement latent se faisait presque angoissant, la cadence des cliquetis et tintements de tous ces bibelots déglingués s’accroissant comme une marche affolée qui effaçait ses traces.
Mais un autre son semblait vouloir se joindre à cette étonnante musique ; c’était une voix, ou des voix. On chantait, et le ton gagnait en volume de la même façon que la cadence qui l’accompagnait, les voix s’approchaient. Et près de l’affreuse cloche mécanique qui était la clé de cet étrange manège sonore, la petite porte, qui fendait le mur enfoncé, s’était ouverte sans un bruit.





*Dont les cornes cuisinées donnent un parfum de sirop de fleur et de mélisse



A suivre…

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