Les Troubadours des Plaines
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AuteurMessage
Aklatan
Capitaine des Plaines
Aklatan


Messages : 483
Date d'inscription : 04/07/2008
Age : 111
Localisation : Collines de Sous-Voûte-Chêne, la maison à côté de la cascade, où un gnome taille parfois des pierres.

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MessageSujet:                  Icon_minitimeVen 23 Aoû - 11:37

Se souvient-on du nommé Gueux-du-Luth, un certain Aklatan ? Assez peu, sans doute, car cela se compte en années que l’on n'en parle plus. Du moins ce qu’il parut être des ans. Des siècles. Car il n’est plus compté d’histoires sur son compte, si tant est qu’on en conta jamais… mais à bon compte ? Qui le saurait – il aura beau lui-même courir le monde entier, il ne connaîtra jamais plus d’histoires à son sujet que n’en connaît le monde, et encore croit-il y avoir presque réussi. Comme toujours.
Et depuis lors, Aklatan s’était oublié. Non qu’il mouillât ses frusques, car si tel était le cas, c’est à l’histoire que cela reviendrait. Ce n’était pas bien méchant - bien moins que lorsqu’il demeurait encore – mais il avait fait ainsi que le village, les Hautes-Plaines, le pays et l’univers avaient oublié jusqu’à son existence. Pour lui, c’était comme d’avoir continué sa route à l’envers, aussi absurde qu’il soit de prendre la gravité à contre-sens, sans détacher un pied du sol. Il avait joué la fée nimbée d’arcanes, qui farde ses merveilles sous de frustes nippes pour marcher parmi les hommes. Comme le musicien qui feint de jouer de son art, et qui rend sourd son auditoire à force de silence : voilà le troubadour au comble de lui-même, alors qu’il porte un masque qu’il n’enlève jamais, si bien que le monde en confond le visage.

Il se trouvait sur l’eau, au milieu de l’étang niché dans les bosquets. Sur cette même surface qu’il trouvait chaque année pour se mettre à flotter, en laissant le poids de la terre sur le rivage. Au plancher d’une barque, il avait remarqué combien la gravité relâchait son emprise, en rompant les attaches de son existence terrestre : la coupe de ses souliers, aussi ridicules que leur porteur était un imbécile, devenait enfin tolérable, et les tendons de ses tibias s’allongeaient d’aise, comme gorgés des vapeurs du houblon et de la camomille. Et alors qu’il restait assis, les mains croisées, sa canne à pêche posée en long, il se sentait voguer sur les remous de sa mémoire, enlisée dans un bois qui devait rester un marécage aux yeux des promeneurs et des cartographes. Tandis que son nom s’était consumé sur la braise avec la dernière gazette, il goûtait au délice de se perdre en lui-même, et sans cligner d’une paupière, il contemplait l’œil fasciné le courant pur de sa pensée où, du monde qui n’en savait plus rien, il était seul à conserver le souvenir de ses histoires.

L’étang était si calme, sa concentration telle, qu’il ne sut plus quelle personne il était, ni s’il eut une apparence ; il regardait le fond de l’eau en miroitant à sa surface, et le reflet de ses vies s’agitait entre les cercles et les stries tracés dans l’onde par les poissons et l’ombre des arbres. Il y revoyait les trésors ensorcelés et les farces d’hier, ce qui avait jadis vécu par là en un appeau ichtyque, une outre pleine d’or et une pierre pédicurale. Ailleurs, il poignait sur sa silhouette celle d’une citrouille ignoble et gouailleuse, à quoi succédaient les relents de friandises moisies de la foire, et la tiédeur moite des crapauds des tourbières. Mais il y persistait encore quelques parfums d’un pays surnommé Condridyphe, le brouillard des sombres soirs du Maléfice, et la douce fraîcheur des nuits des golomüns, et leurs célébrations bourgeoises.
Enfin il y avait le bonnet à grelots, avec ses quatre pointes, dont chacune avait un nom. Il lui semblait flotter sur l’eau, tournoyant au hasard en montant vers sa source ; peut-être allait-il rejoindre les cavités souterraines, s’engouffrer dans les nappes qui traversaient les Hautes-Plaines en leur cœur, et les désaltérer, se délitant doucement, de ses cristaux de rire et ses grains d’aventure qui se sont épanchés à la fleur de la terre, le temps de quelques années.
C’était à cette fin qu’Aklatan appréciait de se retrouver sur l’étang, en bordure du village ; il le faisait pourtant en ignorant toujours combien il se retrouvait à la lisière de lui-même. C’était uniquement parce qu’il lui prenait quelques fois, quand revenait le matin où commença son existence, de se demander ce qu’il était devenu, et ce qu’il fut jamais. S’il avait des compagnons, ou bien des rêves, ou des mirages, s’il pouvait être une partie, ou le contenu d’un village, ou si malgré tout, il ne se trouvait être qu’un long et sinueux, qu’un étrange et brillant voyage.

Une fine brise se leva dans le bosquet. Aklatan prit la rame qui dormait à côté de lui, et retrouva la sensation de ses souliers. Certes, il n’avait pas de voile à sa barque, pas plus qu’un kilt au géant, mais il pouvait glisser sans secousse et sans frein sur l’eau qui s’évadait hors de son enclos. En fendant à coups lents dans l’étang s’écoulant, il prit le courant qui écartait les bois, et s’ouvrait en nervure aquatique entre champs et prairies, là où s’étendait le ciel. A ce paysage, Aklatan lança son regard au loin, et sur un nouveau trait de rame, il songea qu’il parviendrait peut-être à un lac, ou un fleuve, parmi d’autres régions qui pourraient lui montrer le chemin de l’océan. Le voilà qui suivait la rivière, et avant la fin du jour, on vit s’éloigner le Troubadour.
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