Fragments du rêve 3 - Malédiction

Ull écoutait le souffle du vent par moments réguliers… si c’était bien le vent. Cela arrivait dans un sifflement, d’abord calmement. Puis dès que cela s’approchait du rebord de la fenêtre, cela faisait vibrer le mur, jusqu’à frapper les cadres du bois, avant de s’évanouir.
Dehors c’était la nuit, et dedans, c’était obscur. Ull entendait les grincements du plancher… si c’était bien le plancher. Cela menaçait de s’effondrer comme pour relâcher son effort, presque insoutenable, qui fragilise, cela tremble, crie… et se tait. Au dessus de sa tête, le plancher du dessus grondait également, relâchait des craquements rauques pour répondre. Un dialogue austère, des paroles tranchées, des mots sourds entre agonisants. Et ce froid qui venait. Le vent semblait ralentir le rythme de son râle lentement, très lentement… ses coups devinrent des percussions fausses, des murmures, on frappait à la fenêtre…
Et ce froid qui venait. Ull le sentait, non pas vif mais dense, un souffle qui se défendait de s’aiguillonner en se condensant, tout autour. On frappait à la fenêtre. On grinçait en haut, en bas. Et là allongé, un être ; caché dans le creux des draps. Le froid s’intensifiait l’espace d’un instant, d’un à-coup, donné par les visiteurs du noir. En haut, en bas, autour, et ce froid, qui partait et revenait. Ull sentit un contact. Une langue humide, glacée, glissait lentement sur sa joue. Glaciale. Dans le souffle toujours plus froid, devant son visage… le noir.
Ull avait peur.

(Info pratique et stupide (il faut choisir !) : "Ull" est un pronom de la 3ème personne du singulier ("Ulls" au pluriel, évidemment) propre aux êtres hermaphrodites (troisième être sexué de Galéa). Ainsi il y a les femmes, les hommes, et les Dums ("doum"))

Extrait du 143ème article encyclopédique - Conjugaison primaire (Bibliothèque de Govorie)

Je suis les autres qui marchent en tête entre les murs crayeux des galeries. J’ignore où l’on va, mais il paraît qu’il y a danger.
Nous avançons dans les couloirs tortueux et gondolés, dont la pierre lisse et spongieuse paraît en tout endroit sous une même teinte jaunâtre, comme une vive peau de parchemin. Lorsque le passage ne bifurque pas brusquement d’un direction vers une autre, il monte et redescend en gondolements hasardeux ; on croirait les ruines d’une caverne qui aurait voulu se changer en colline. C’est une caverne. Où la lumière provient d’on ne sait où, comme si ces entrailles jaunes s’éclairaient d’elles-mêmes.
Parfois les couloirs se croisent et s’enjambent, on peut se pencher au rebord d’un balcon arraché au mur pour voir se prolonger le passage inférieur, qui s’enfonce derrière les parois…
Je ne me soucie guère de savoir si ce labyrinthe est un repère de bêtes fourbues, ou une fourmilière géante… ou un gruyère. Bien que tout cela y ressemble.
Devant moi, une grande femme accoutrée d’une longue robe et accompagnée d’un bâton se détourne secrètement vers moi pour me chuchoter avec méfiance : « Ici vit Jenek. Nul ne doit voir son visage. Si tu le regardes, tu mourras. »
Avant de reprendre la marche, elle me montre brièvement du doigt, au-delà de la balustrade ouverte dans le mur, une forme sombre apparaître en bas, qui marche au milieu du couloir dans notre direction, juste en dessous.
Détournant aussitôt mon regard avant que la figure de cet être ne surgisse, j’emboîte le pas à mes guides avec hâte en tâchant de les rattraper.
D’un bout à l’autre du passage surélevé, je peux déjà apercevoir l’être dépasser le croisement pour grimper davantage vers un autre passage, et disparaître derrière les murs.
Je presse le pas, j’essaie de les suivre, mais ils semblent aller bien vite ; quoique je précipite, je suis toujours dernier du cortège, et eux ne s’en préoccupent pas, ils marchent toujours plus vite et loin, droit devant eux.
Pourquoi me suis-je arrêté ? Je sens les autres s’éloigner. Pourtant il me suffit d’avancer un peu plus, et je les rejoindrais… Mais je suis immobile. Et ils le sont aussi. Me regardent-ils ? Je n’en suis pas sûr, car je ne vois rien. Je ne bouge plus, et mes yeux sont fermés.
Alors, comme le cauchemar qui nous saisit jusque dans notre dernier refuge, quelque chose me force à regarder…

Lorsqu’il ouvrit les yeux, il n’y avait que le terrible visage de Jenek qui le dévisageait.





(Voici un rêve authentique !)