Les Troubadours des Plaines
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 Le mot juste

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AuteurMessage
Aklatan
Capitaine des Plaines
Aklatan


Messages : 483
Date d'inscription : 04/07/2008
Age : 111
Localisation : Collines de Sous-Voûte-Chêne, la maison à côté de la cascade, où un gnome taille parfois des pierres.

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MessageSujet: Le mot juste   Le mot juste Icon_minitimeDim 12 Juil - 17:46

Une plume d'oie tournoyait fébrilement entre ses doigts, narguant le parchemin qui cherchait à être rassasié. L'encrier patientait comme à son habitude, il attendait un nouveau baiser de la tendre plume, qui se riait de voir le parchemin se lamenter d'un nouveau vide, en plein milieu d'un repas. Ce repas était agrémenté de péripéties très burlesque, sur un lit de merveilleux. Mais dans cette ambiance très théâtrale, un seul se sentait presque d'humeur à se morfondre... c'était très frustrant, en effet, surtout quand cela devient une habitude, un morpion récurrent sur la toile pétillante de la pensée. Aklatan n'appréciait pas la page blanche, autant que tous les écrivains de ce monde. Pire encore : comme on se sent impuissant quand le sens du mot juste nous échappe.
Ereinté par cette nouvelle embûche s'ajoutant aux frustrations de la journée, le Troubadour lâcha sa plume, et reposa tête sur le parchemin, pour fermer les yeux quelques instants.
Après avoir imaginé sous plusieurs angles le portrait de son pigeon voyageur dévoré vif en s'étant accroché à des ronces marécageuses, des susurrements vînrent voguer aux alentours de ses oreilles, comme pour enlacer son esprit. Les mots qu'ils entendait en échos disparates semblaient êtres ceux de son écrit, tout droits sortis de son manuscrit inachevé. Il ne releva pas la tête pour autant, et puis quoi encore...
Cela dit, la tête commençait à lui tourner, avec tous ces mots récurrents qui se répétaient, s'ajoutaient, et arrivaient à former un tumulte frénétique incessant, assimilable à une fanfare infernale. A cet instant, il fallait l'avouer, Aklatan eût la ferme envie de relever la tête. Mais il ne le pouvait pas. Son esprit sombrait lentement dans d'étranges abysses desquelles il ne parvenait pas à se défaire. Il lui semblait qu'il tombait, oui, son ventre se retournait, le vide s'offrait sous lui, il était un rocher spongieux jeté à l'océan, et puis... il lui fallait sortir de là, ça foutait trop la gerbe ! Il mis en oeuvre toute sa concentration pour revenir à la réalité, mais il peinait à relever la tête, ne serait-ce que pour ouvrir les yeux ; il était livré au supplice du cauchemar dont on ne pouvait s'échapper en sachant manifestement que l'on est réveillé... Quand vînt le moment où projeta sa tête vivement en arrière : il se sentît bondir, entraîné dans l'autre sens, et heurta douloureusement le sol, sa chaise s'enfonçant dans son dos. Heureusement, comme il avait pris l'habitude d'accéder à un stade d'inertie incroyablement avancé en écrivant, il installa un coussin contre le dossier afin de s'assurer un sommeil optimal (en provenance de la boutique arnaque de Zuzu(R)).

Il se releva avec difficulté, et dût s'éclarcir la vision pour concéder chaque détail de ce qui l'entourait : rien. (à couper le souffle, n'est-ce pas ?) Il ne se trouvait plus dans sa mansarde miteuse où grouillait une floppée d'araignée hebdomadaires - dont une s'appelait Cageot ; aucun lien familial avec notre vieux Roger Cageot, elle n'était seulement pas très jolie), mais seulement dans un espace blanc, entièrement blanc, ou presque : le coloris global tournait par endroits au blanc cassé, jaune bruni ; il se serait cru dans une immense tente, les cloisons étaient des voiles ondulants et souples, parcheminés... ils composaient l'ensemble de l'espace à la manière d'une grande toile. Aklatan sonda l'espace d'un oeil intrigué, c'est en progressant n peu qu'il pût observer qu'il se trouvait dans une sorte de dédale silencieux, fait entièrement de voiles mouvants parcheminés, qui donnait un éclat mystérieux au climat de ce lieu étrange. Il arpenta les tournants et les sillons interminables de cet espèces de labyrinte ; il n'y trouva que le néant. Inquiétant néant, sans bruits et sans couleurs. Il commençait presque à aborder le pas de course quand entendît enfin un son. Un grondement indistinct retentissait au loin. Ce fût en se rapprochant, au détour de quelques couloirs, qu'il accéda enfin à une autre enceinte, qui devait être la sortie de ce dédale silencieux.

Peut-être était-ce une tour, ou une forteresse, en tout cas les étages circulaires se succédaient sans fin, en hauteur. Une effervescence impressionnante régnait dans ce nouvel endroit, où les êtres vivants étaient pour la plus grande partie... des lettres. Des lettres de tous langages, des mots, des chiffres, et même des gouttes d'encre, des plumes, des burins... tous se déplaçaient et parlaient dans tous les sens dans une construction verticale faite de pliage de parchemin, de pierre ou de feuilles d'arbres.
En bas semblait avoir lieu une réunion d'importance considérable, entre plusieurs dizaines de mots et de lettres, glissant et sautillants sur une immense feuille de papier qui, elle-même, se trémoussait de son centre jusqu'à ses bords.
Aklatan stupéfait restait immobile, observant déconcerté ce monde de lettres... Jusqu'à ce qu'on lui adresse la parole :
"Hé, vous là ! Vous êtes un blanchard ?" A côté de lui, le nombre 35 pointait une de ses branches chiffrées vers lui. Le Troubadour interdit bégayait, le nombre lui expliqua alors :
"Oui, vous venez de ce labyrinthe tout vide ? Ouais ouais, c'est la page blanche, vous êtes un blanchard. 35 bravos ! Qu'est-ce que vous venez chercher ici ?" La réponse semblait évidente à Aklatan, elle étincela en un rien de temps à son esprit brumeux :
"Mais... le mot juste, bien sûr.
- Sans blague. Vous avez trente de la chance, c'est un de mes amis, le connais bien. De toute façon, le juste et les nombres ça fait 1, bien sûr ! Je peux vous y conduire, suivez-moi."
Alors qu'il suivait le nombre 35, il pût être faire plusieurs rencontres étonnantes, comme celle de l'écrivain Rultipheer Branon dont il appréciait beaucoup les ouvrages, c'était une chance car il était mort depuis quelques temps déjà. D'ailleurs il ne manqua pas de le saluer aussi cordialement qu'il le pût :
"Messire Branon ! Vous vous souvenez quand je vous avais demandé une dédicace au festival des Carrières perdues ? J'étais arrivé à l'ouverture, vous aviez accepté de me dédicacer votre livre tout à l'heure, et vous n'êtes même pas revenu !
- Tiens, c'est marrant, je suis désolé, même si je m'en tape carrément. As-tu de quoi écrire sur toi ?
- Ben non.
- Alors tant pis, on verra ça à nouveau une prochaine fois. A bientôt."
Il pû assister également aux rancoeurs de la gente, comme le rapport entre une plume et le mot "Méridioseptentrionoccidentoriento-segmentationocentrifugelleoaxo..." non en fait ce mot est trop long à écrire en entier, le pourquoi de ce désespoir :
"Mais ma petite plumelle, sacrebleu de saperlipoposurpreanadasse, que ne manquerait-il qu'un moindrelet effort de rigueur pour parvenir à m'accepter, voyons !
- *sanglots" Bouh... Non, c'est inutile, non... Tu est trop long, et je suis trop sotte et malhabile pour toi, bouhou... tout.. tout est fini..."
Il eût aussi droit à un autre dénouement, plus heureux, en jetant un oeil au coin des croisements de voiles parcheminés :
"Oh... c'est un masculin !
- Et, et il peut-être pluriel ?
- Oui, bien sûr, oh...
- Comme il est beau, notre nouveau mot." En effet un mot "saoûl" et une péjorative serraient dans leurs bras leur enfant. Le médecin (une gomme) semblait convaincu également :
"Euh... oui, c'est un magnifique nouveau mot... "Saoûlard"...hem."

35 tira l'un des voiles de parchemin, après un moment de marche. Il prévînt :
"Attendez, je l'appelle : "Juste ? Juuuuste ! Y aun blanchard qui veut te voir." En etendant un pas grondant s'approcher, il pût percevoir également sur ton grommelant :
"Rha non, pas un putain de blanchard..."
Le mot "juste" apparût alors ; il ronchonna :
"Qu'est-ce qu'il y a ?
- Y a le blanchard qui a besoin de toi.
- Bon et alors, ça y est, il m'a assez regardé ? Il a mémorisé comment je m'écrivais ?" Aklatan constata sa désillusion :
"Euh, ce n'est pas vraiment comme ça que je voyais les choses. En fait j'ai besoin de m'approprier le mot juste... euh, d'avoir ce sentiment, ce sens qui fait qu'on détient le mot à chaque phr...
- C'est bon j'ai pigé. 35, avant de venir m'emmerder tu vérifies ce que veulent ces emmerdeurs de blanchards qui sont pas foutus de mémoriser les enseignements du maître Dico, vu ? Je sais que t'es pas un gros nombre, mais quand même, t'as le droit de réfléchir !" Il disparût derrière le parchemin, laissa le nombre à son désarroi :
"Bon, c'est le sens que vous cherchez, ben... débrouillez vous !"

Le Troubadour, las de déambuler entre les plumes, les lettres et les gravures d'Alan Poe enjolivant les murs, se pencha à la ramarde de l'étage, puis s'adressa à la totalité de l'assemblée en vociférant :
"Le sens du mot juste ! Je veux connaître le mot juste !"
Après un instant de silence de la part de tous les concitoyens, l'un répondît, de nulle part :
"Ce qui est juste est conforme à l'équité !
- Je veux connaître le mot appropriééééé !" Le silence se fît plus long. Aklatan ne se doutait pas qu'il aurait mieux fait de rester discret, quand se déchaîna les vagues folles de l'orgueil des mots. En effet, tous les mots commencèrent à se précipiter pour atteindre le Troubadour, à la façon d'un troupeau en furie, en s'écriant chacun :
"Je suis le mot juste ! C'est moi !
- Non, prenez moi ! C'est une question de sens !
- Non, je suis votre mot approprié !
- C'est moi, le mot juste, prenez-moi !
- Je suis là, je suis le mot que vous devez prendre !"
Aklatan se voyait démuni face à cette foule chaotique qui n'allait pas tarder à le piétiner, emportés par leur mégalomanie, et pourquoi pas à le rendre sourd... et fou.

Tout en bas, alors que la panique commençait à gagner l'assemblée face à ce désordre soudain, un marque page se leva. Les marque-ppages devaient constituer les plus sages d'entre eux, c'est pourquoi il apporta un énorme encrier, qu'il plaça au niveau de la rambarde. Il cria à Aklatan :
"Le blanchard ! Sautez !" Il s'exécuta, poussé à la fis par l'envie de se sauver et celle de ressentir l'instant prestigieux du travail d'une plume. Dans son plongeon, il s'inquiéta tout de même une seconde durant si il avait sauté assez loin, ça aurait été crétin de se péter en 35 si ... ah merde, le salaud contrôle même ce texte !

Quelle sensation immonde. L'encre poisseux et noir. En plein dedans.
"Vous le direz à personne, hein ?" demanda Aklatan en buvant une tasse de café, tandis que le marque page l'aidait à éponger l'encre qu'il avait sur le corps.
-"Non, ce n'est pas grave. Et puis au moins, on aura plus trop de chance de savoir que tu est un blanchard.
- Vous l'avez trouvé où ce café ?
- Oh, tu sais, les écrivains maladroits renversent n'importe quoi...
- D'ailleurs, je pourrai ne plus être blanchard du tout si j'avais le sens du mot juste, vous le connaissez ?" Le marque-page le laissa se détartrer le visage avec un vieux chiffon, tandis qu'il parlait :
"Ah, encore cette histoire. Surtout ne parle pas de ça à des lettres, elles te sautront au cou immédiatement, persuadées d'être le mot que tout écrivain cherche, fais surtout attention aux mots savants, ce sont les pires, les plus orgueilleux. Il faut savoir que le mot juste n'existe pas vraiment. Il est seulement nécessaire de connaître les enseignements du maître Dico avec beaucoup de soin de et rigueur, je sais de quoi je parle, j'ai commencé à marquer mes premières pages dans des Balzac. C'était pas de la tarte, mais à force, c'est comme ça. C'est parce que sais quel mot employer pour donner la bonne précision, le bon timbre, la bonne orientation, tout ce que tu veux qui donne à l'écrit le pouvoir de transcrire parfaitement le sentiment et la volonté de l'écrivain qu'on peut dire que j'ai le sens du mot juste.
- Vous écrivez ?
- Non, sincèrement, j'en ai rien à foutre d'utiliser mes compétences pour ça, je peux même pas écrire.
- Ben d'accord. Je vois, merci.
- Et donc ? J'ai répondu à ta question comme il le fallait ?
- Ben...
- Ben quoi ? Tu te démmerde.
- Ah, d'accord, c'est ça que vous vouliez me dire.
- Eh oui, mon jeune ami, c'est ça le mot juste."
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